Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Mode : le prix LVMH attribué à Ellen Hodakova Larsson

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Si, en 2023, le gagnant du prix LVMH, Satoshi Kuwata, se détachait nettement de ses concurrents, il était plus difficile de deviner qui allait l’emporter cette année. Mardi 10 septembre, la onzième édition du prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode, qui s’est déroulée à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, a récompensé Ellen Hodakova Larsson, 32 ans, installée à Stockholm.
« J’ai grandi dans la campagne suédoise, à courir pieds nus dans la nature autour de notre ferme, à récolter différentes variétés de fraises et de pommes, conduite par mon désir de comprendre le monde », explique la jeune femme, qui a lancé la marque Hodakova, en 2021, et défile, depuis 2022, à la fashion week de Paris. Avec cette griffe, elle s’emploie à transformer en pièces de valeur des objets ou des vêtements qui avaient vocation à être jetés.
Dans la garde-robe présentée au jury, on trouve, par exemple, une sculpturale robe métallique fabriquée avec des cuillères à soupe imbriquées, une robe constituée de ceintures tressées, un manteau comme un patchwork de plusieurs vestes cousues entre elles, une jupe faite de pantalons portés à l’envers… Dans cette science du vêtement décomposé et recomposé, détourné de sa fonction première, on retrouve un peu l’esprit de Demna Gvasalia chez Balenciaga, propriété de Kering. L’exécution est parfaite, mais, d’un point de vue esthétique, sa proposition n’apporte pas un grand vent de nouveauté.
« Ellen Hodakova Larsson a réussi à monter une marque qui fonctionne bien, qui a trouvé son public. Elle montre que l’upcycling a un potentiel commercial, ce qui est plutôt rare », s’enthousiasme Maria Grazia Chiuri, directrice artistique des collections féminines de Dior et membre du jury. Les 400 000 euros que la trentenaire recevra de LVMH – en plus d’une année de mentorat – lui serviront à développer sa griffe, déjà distribuée dans dix-huit pays, et à s’approvisionner en matières premières.
LVMH a aussi attribué deux autres récompenses : le prix spécial Karl Lagerfeld est allé à Duran Lantink, un Néerlandais de 36 ans également présent à la semaine de la mode de Paris. Le Prix du savoir-faire, décerné pour la première fois cette année, a été remis à l’Irlandais Michael Stewart pour sa marque Standing Ground. Chacun d’entre eux a reçu 200 000 euros et une année de mentorat personnalisé.
Pour cette onzième édition, 2 500 candidats avaient soumis leur candidature ; à l’issue d’une première présélection, la demi-finale, en avril, avait permis d’élire les huit finalistes. Trois femmes et cinq hommes, tous des Européens, à l’exception d’un Américain. A défaut de faire preuve d’une grande diversité géographique, ce panel représente les principales tendances de la mode actuelle qui se concentre sur l’aspect écologique, la réinvention des formes ou l’excellence artisanale.
Le Californien Julian Louie, à la tête de la marque Aubero, s’évertue à employer des chutes de tissu, dans une démarche de revalorisation proche de celle de Hodakova. La Belge Marie Adam-Leenaerdt s’inspire d’objets du quotidien pour créer des robes dont les formes géométriques évoquent des meubles. Un goût pour la sculpture qui rappelle le travail de Duran Lantink, adepte de pièces volumineuses, comme gonflées d’air.
Le Britannique Paolo Carzana perçoit aussi le vêtement comme une sculpture, mais plus molle, à base de coton et de tissus naturels. Niccolo Pasqualetti détourne avec délicatesse le vestiaire bourgeois qu’il produit entièrement dans son Italie natale. La Française Pauline Dujancourt se concentre sur l’aspect artisanal de la maille et de la broderie, qu’elle fait réaliser à la main par des couturières de Lima, tandis que Michael Stewart (Standing Ground) réalise des pièces couture, sur mesure, striées par des rangs de perles intégrés dans le tissu.
« C’est bien de gagner un prix, mais ce n’est pas la fin du monde de passer à côté, rappelle Marc Jacobs, présent parmi les membres du jury. Il y a quelques années, je me rappelle avoir eu un coup de cœur pour un candidat qui n’avait pas gagné… Il s’appelait Demna, et l’on a vu ce qu’il a accompli par la suite », dit-il en référence au directeur artistique de Balenciaga, qui compte aujourd’hui parmi les plus influents du secteur.
Outre Marc Jacobs et Maria Grazia Chiuri, le jury était composé d’autres créateurs du groupe LVMH : Jonathan Anderson (directeur artistique de Loewe), Nicolas Ghesquière (Louis Vuitton femme), Nigo (Kenzo), Silvia Venturini Fendi (Fendi homme), Phoebe Philo (à la tête de la marque qui porte son nom). Pharrell Williams (Louis Vuitton homme), retenu à Toronto, au Canada, a rejoint ses confrères par visioconférence. Ne manquaient à l’appel que Kim Jones (Dior homme et Fendi femme), Hedi Slimane (Celine) et Stella McCartney.
Delphine Arnault (PDG de Dior), Jean-Paul Claverie (directeur du mécénat de LVMH), Sidney Toledano (conseiller du PDG de LVMH, Bernard Arnault) complétaient le jury. Ainsi que l’actrice Natalie Portman, égérie des parfums Dior, qui a prononcé un petit discours sur l’importance de la mode, avant de remettre son trophée à Ellen Hodakova Larsson.
La remise du prix permet à LVMH d’asseoir sa puissance : les dotations sont généreuses, elles récompensent plusieurs lauréats et sont remises par des stars internationales plus ou moins liées au groupe – cette année, les acteurs Robert Pattinson et Ana de Armas étaient présents. C’est aussi l’occasion de montrer à quel point l’écurie LVMH est performante et diverse. Dans un secteur qui connaît un fort ralentissement économique, cela ne fait jamais de mal de rappeler qui est le patron. Bernard Arnault, qui, dans le public, photographiait en souriant la remise de prix avec son téléphone, ne dirait pas le contraire.
Elvire von Bardeleben
Contribuer

en_USEnglish